Est-ce que je peux dire ce que je veux sur Internet?

En trois mots : oui… et non. Internet nous permet de partager facilement notre opinion, mais il est important d’être sensible par rapport à ce que l’on dit ou l’on voit en ligne. Mais qu’est-ce que la liberté d’expression sur Internet?

La liberté d’expression, c’est quoi?

La liberté d’expression, c’est un droit inscrit dans la constitution canadienne et québécoise qui nous garantit de pouvoir exprimer nos idées et nos croyances, de donner notre opinion, de manifester et de critiquer, sans avoir à subir de représailles institutionnelles. Toutefois, ce droit est garanti tant que nos propos ne ciblent un groupe ou une personne en particulier, par exemple par des menaces ou des propos diffamatoires. En somme, que ce soit en ligne ou hors ligne, le droit à la liberté d’expression nous permet de nous exprimer sans craindre de conséquences juridiques, à condition que cela ne brime ni la vie privée, ni la dignité des autres.

Une particularité de l’expression en ligne, et qui complique beaucoup son encadrement, est la rapidité et la permanence des propos que l’on peut tenir. En effet, sur Internet, les paroles s’envolent, mais les écrits restent! Ce que l’on dit et ce que l’on partage peut facilement être repris par d’autres personnes, et une fois en ligne, on ne contrôle plus la circulation de nos propos. Même si des conversations sur Facebook peuvent sembler privées, d’autres personnes peuvent facilement les voir, ce qui force bien souvent les législateurs à considérer ces conversations comme publiques. En outre, on perd le contrôle sur les contenus partagés dès qu’ils sont en ligne. Et même si on efface le plus possible les traces de propos qu’on regrette avoir tenus, on ne peut pas savoir si certaines de ces traces sont hors de notre portée. Mais pourquoi se soucier de ce que l’on partage en ligne?

Quels propos peuvent être punis en vertu des lois canadiennes et québécoises ?

Les propos 1) diffamatoires et 2) haineux sont encadrés respectivement par le droit civil québécois et le droit criminel canadien.

La diffamation

La diffamation, typiquement de l’ordre des poursuites civiles selon les lois québécoises, vise à nuire à la réputation d’une personne ou d’un groupe en véhiculant des propos défavorables, généralement mensongers ou sans motif. La frontière entre critique et diffamation peut être mince, surtout lorsque cela concerne des services reçus, mais pour lesquels nous avons eu de mauvaises expériences. Dans les dernières années, plusieurs cas de diffamation en ligne, notamment sur Facebook, ont été reconnus au Canada, entre autres au Québec. Ces décisions aident à mieux comprendre le genre de propos qui peut mener à des procédures légales. De son côté, la Cour suprême du Canada reconnaît la diffamation dans trois situations : 

1)  Des propos désagréables à l’égard d’un tiers qui sont tenus tout en les sachant faux. 

2) La diffusion de choses désagréables sur autrui qu’on devrait savoir fausses.

3) Des propos défavorables véridiques, mais émis sans motifs, à l’égard d’un tiers.

Malheureusement, il est parfois compliqué de distinguer la diffamation d’un commentaire critique constructif à propos d’une expérience désagréable, notamment parce que ce que nous disons sur Internet peut avoir des effets importants. Les commentaires positifs sont tellement prisés, que ce soit sur Facebook, Google, Yelp ou TripAdvisor, qu’on fait tout pour empêcher les commentaires négatifs. Certains particuliers et certaines entreprises ont notamment recours à la poursuite en diffamation pour faire taire certaines personnes qui ont laissé de mauvais commentaires à leurs endroits. Il est aussi de plus en plus fréquent que des entreprises paient des tiers pour laisser de bonnes critiques à leur égard.

La haine en ligne

La différence entre des propos grossiers (déplorables, mais légaux) et des propos haineux est souvent floue. En règle générale, les propos haineux font la promotion d’actes violents envers des personnes appartenant à des groupes précis, souvent sur la base de leur apparence, de leur identité culturelle ou de leur orientation sexuelle et de genre. Sur Internet, cette haine se manifeste par des publications, des mèmes ou des vidéos qui présentent ces personnes sur la base de préjugés tout en soutenant des actions négatives envers elles. Par exemple, vouloir s’attaquer physiquement à des personnes en raison de leur genre et le publier sur Facebook relève de la haine en ligne. La cyberintimidation et le cyberharcèlement peuvent participer à la haine en ligne à travers des attaques continues et des intrusions injustifiées dans la vie d’une personne. Ces actions visent à blesser, à humilier ou à exclure la personne, par exemple par des menaces, des avis non sollicités ou du chantage.

La haine en ligne peut apparaître progressivement, au contact de contenus légers ou drôles, qui présentent les autres comme différents de nous, par exemple des blagues, des vidéos ou des mèmes. Il existe aussi des espaces de discussion, par exemple sur 4chan, où les groupes haineux sont bien présents et cherchent à faire valoir leur point de vue sans pour autant promouvoir directement des actions violentes. Bien que ces propos ne soient pas automatiquement répréhensibles, il faut être vigilant devant leur manifestation. À cet égard, HabiloMédias recommande de parler ouvertement de ce qui nous rend inconfortable sur Internet, par exemple en contactant en privé l’auteur d’une publication problématique ou en discutant de la question de la diversité avec notre entourage. Il ne faut pas hésiter à exprimer un point de vue contraire et à énoncer ses valeurs, tout en s’assurant de respecter sa sécurité et celle des autres. La plupart des espaces de discussion offrent la possibilité de signaler les contenus qui dépassent les codes de nétiquette.

Plusieurs procès pour des propos haineux sur Internet montrent comment le Code criminel a été appliqué jusqu’ici. On souligne notamment que les traces de ce que l’on publie en ligne peuvent perdurer et rejoindre rapidement beaucoup de personnes, ce qui augmente la gravité de l’infraction. À l’été, le gouvernement du Canada a proposé des modifications au Code criminel par le biais du projet de loi C-36 qui vise à mieux encadrer la haine en ligne, notamment pour mieux faire face au terrorisme. Dans tous les cas, on recommande de rester alerte face à ce qu’on peut trouver en ligne, et aussi de s’exprimer en ligne comme nous le ferions sur une scène. 

Reconnaître certaines techniques de diffamation ou de haine en ligne

Astroturfing : Aussi appelé similitantisme ou contrefaçon de mouvement d’opinion, il s’agit de techniques de promotion en ligne, souvent pour des motifs politiques ou publicitaires, visant à simuler un mouvement citoyen en faveur d’une position. Cela crée donc une fausse opinion populaire. Ce phénomène contribue souvent à la haine en ligne.

Doxxing : Divulgation de renseignements personnels visant à nuire à une autre personne ou à une entreprise, souvent pour des raisons politiques ou par vengeance. Cela peut être des informations comme l’adresse de résidence, les numéros de carte bancaire, bref tout ce qui peut porter atteinte à la personne ou à l’entreprise visée. Ce phénomène est bien présent sur Internet, notamment pour nuire à autrui sous le couvert de l’anonymat.

Trolls : Terme désignant des internautes dont l’objectif est de perturber la conversation en ligne et de créer des polémiques sous le couvert de l’anonymat. Ils sont associés à la cyberintimidation et au cyberharcèlement, les trolls bombardant les autres internautes de messages plus ou moins malveillants.

Comment distinguer la censure et la critique?

À tort ou à raison, nous considérons parfois la liberté d’expression comme mise à mal sur Internet, en particulier sur les médias sociaux. Il faut cependant ici distinguer la critique de la censure.

La censure se définit par un contrôle arbitraire de l’expression par des institutions ou des gouvernements, souvent pour contrôler une image. Ce contrôle est marqué par le pouvoir de ces institutions de choisir ce qui peut être dit ou non, généralement sous forme de loi, de charte ou de règle. Il ne vise pas à encadrer le bien-être des gens, comme ce peut être le cas pour les lois sur la haine en ligne. Par exemple, la censure sur Internet est l’interdiction de divulguer sur les médias sociaux des propos qui nuiraient à l’image d’une institution. 

Néanmoins, publier sur Internet, c’est s’exposer au dialogue et à la critique. Ce n’est pas parce qu’un autre internaute émet une opinion contraire ou souligne que nos propos sont problématiques ou déplacés qu’il s’agit de censure. Au contraire, la discussion peut mener à des échanges sains pour mieux comprendre les idées des autres, tant que cela est fait de bonne foi. 

Les algorithmes présents un peu partout sur Internet contribuent à sélectionner l’information que nous voyons, de même que ce que nous publions qui sera accessible aux autres. En effet, les choix proposés par les algorithmes de recherche privilégient certains résultats plus que d’autres, ce qui contribue à organiser l’expression en ligne. Et à juste titre, on peut se demander si c’est aux grandes plateformes du web d’encadrer ce que l’on dit sur Internet. Toutefois, la logique derrière les algorithmes ne vise pas à censurer ce que nous disons, mais plutôt à encourager les contenus qui génèrent plus d’attention, pour le meilleur ou pour le pire.

Au-delà du droit à la liberté d’expression, est-ce que toute idée est bonne à exprimer sur Internet?

Des enjeux comme la diffamation, la haine en ligne et le cyberharcèlement montrent qu’il faut aller au-delà du simple droit à la liberté d’expression et se demander si ce que nous voyons ou publions ne ciblent pas des personnes ou des groupes pour de mauvais motifs. Même s’ils ne sont pas directement punis par la loi, des propos racistes ou sexistes véhiculent des préjugés qui continuent de porter atteinte aux personnes concernées.

Avant de publier quelque chose sur Internet, nous pouvons donc nous demander : quel est l’objectif de ce que l’on veut dire? Qui cela va-t-il toucher? Comment l’exprimer ? La netiquette indique quelques recommandations générales en ce sens.

Recommandations et ressources pour bien communiquer en ligne

Éducaloi et CliquezJustice.ca rappellent le cadre légal autour de l’expression en ligne au Québec et au Canada : https://educaloi.qc.ca et https://www.cliquezjustice.ca

HabiloMédias propose plusieurs ressources pour mieux comprendre la liberté d’expression sur Internet : https://habilomedias.ca/

L’organisme a également produit un rapport suite à une enquête menée auprès des jeunes à propos de la haine en ligne: Brisson-Boivin, Kara (2019). Les jeunes Canadiens en ligne : repoussant la haine. HabiloMédias. Ottawa

Projet Someone met de l’avant des projets de sensibilisation à la discrimination en ligne : https://projectsomeone.ca/fr/

Le regroupement SERENE-RISC propose des formations de sensibilisation aux risques en ligne, dont les discours haineux : https://www.cybersec101.ca/fr/

Pour plus d’informations sur le projet de loi C-36 visant à réformer la législation sur les discours haineux : https://justice.gc.ca/fra/sjc-csj/pl/lcdch-chshc/index.html

À l’émission Pénélope à ICI Première, Normand Baillargeon tient des chroniques sur des thèmes reliés à la liberté d’expression : https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/penelope/segments/entrevue/370414/liberte-expression-academique-artistique

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